mercredi 18 novembre 2009

Les amours râtées de PJ Harvey

Auréolée d’une réputation de fille douée et en colère, PJ Harvey n’est peut-être pas celle que l’on croit. A trop crier partout "Je t’aime pas mais l’autre là-bas, ne la regarde pas sinon je te fais manger un œil", les hommes ont fini par devenir ses ennemis numéro 1.


Sur la pochette de A Woman A Man Walked By (Island Records, 2009) et sur les photos-promo, John Parish et PJ Harvey affichent la complicité d’un couple de meilleurs amis : on se tape dans le dos, on se file des plans pour jouer un accord de guitare, on se moque de l’autre lorsqu’il bafouille dans le micro et on ne se regarde même pas lorsqu’on joue à la télé car on se fait confiance.
Naturellement, cette belle amitié entre la chanteuse et le professeur d’arts est émouvante, mais un vrai amoureux se cache-t-il derrière les couplets d’amour (et de colère) que Polly Jean Harvey compose à l’ombre des amandiers du Dorset ? Cet amoureux invisible, ce n’est pas John Parish, âme sœur de PJ, reflet d’initiales, qui lui apprend à jouer de la guitare et la suit, depuis Automatic Dlamini, le premier groupe de Parish, dans lequel elle joua notamment du saxophone. Non. En réalité, on ne sait rien, ou presque, des battements du cœur de cette fille à la grande bouche peinturlurée de chair de baleine... Mais peut-être qu’en compilant correctement, des noms surgiront : Steve Albini, Nick Cave, et même Vincent Gallo. C’est du lourd, et c’est même du très beau garçon, mais cela n’explique pas leur statut temporaire dans la vie de celle qui postillonne "I’m sucking ’till I’m white/You leave me dry"… sur le single Dry, en 1993 (Island Records). Interrogeons-nous : Pourquoi ? Pourquoi PJ Harvey semble être toujours une célibataire en colère ?


 Steve Albini : connu pour travailler uniquement en analogique et pour le tarif unique appliqué à tout groupe toquant à la porte de son studio à Chicago (600€ la journée), Steve Albini est le fondateur de Shellac et le producteur de tout ce que la terre porte de noise et de punk et d’indie. Cela tombe bien, PJ Harvey vient tout juste de dépenser ses petites économies dans la location de son premier appartement à Londres. Par ailleurs, Island Records, son nouveau label, aime sa protégée hargneuse mais ne souhaite pas dépenser trop d’argent : deux semaines et pas un jour de plus devront suffire à l’enregistrement de Rid Of Me (Island Records, 1993), prometteuse collaboration du producteur sans concession et de l’artiste. S’alimentant uniquement de pommes de terres et de sauces assorties durant ces deux semaines (C’est Steve qui le dit lui même), PJ Harvey défie son micro comme on défie un homme qui se refuse et Steve Albini capte, silencieux et encourageant, la défiance de cette fille de 23 ans. En confiance, Polly Jean fait vibrer sa gorge, se brise les abdominaux, racle, éructe, grogne, murmure tandis qu’Albini imprime sur ses bandes magnétiques la pudeur violente de cette fille qui semble vouloir tout faire toute seule... Mais deux semaines ne suffisent pas à deux cœurs qui pourraient battre de concert. PJ Harvey quitte le studio à reculons, vidée. Tout est dit dans Rid Of Me et Albini ne touchera plus aux cordes sensibles de Polly.

Ce qu’elle aurait dû faire : Manger autre chose que des pommes de terre. Pour séduire un homme, il existe des mets plus encourageants.



Nick Cave : Nick Cave... Ah, Nick Cave... PJ Harvey est fan de la bande de l’australien et lorsque celui-ci la contacte pour l’accompagner sur le duo Henry Lee (sur Murder Ballads, Mute, 1995), elle pense à toutes ses copines de lycée qui sont devenues femmes au foyer et qui repassent les bermudas de leur mari. Depuis Rid Of Me, PJ Harvey est devenue une rockeuse internationale, ses succès se sont enchainés avec classe et n’ont laissé guère l’occasion à l’amour de s’immiscer dans sa culotte (dont elle se coiffera dans le clip de The Letter en 2004). Le monde de l’indie attend cette rencontre et elle a lieu : la vidéo de Henry Lee se termine sur un french kiss à l’attention de ceux qui doutaient encore que ces deux-là étaient faits pour se rentrer dedans, artistiquement, personnellement, sentimentalement. Les deux vivent une passion irréelle pour leurs fans respectifs mais lassée ou juste enquiquinante, PJ Harvey décide de rompre et de plonger par la même occasion Nick Cave dans un chagrin profond, comme si ce Nosferatu du Rock n’était pas déjà un type suffisamment sombre. Elle quitte leur appartement de Londres, récupère ses robes de Dame Cave et file, ailleurs. Nick Cave compose dans la foulée Boatman’s Call, hommage à sa belle voleuse, à ses yeux verts (Green Eyes) et ses cheveux noirs (Black Hair). Culpabilisant, repensant à ses copines de lycée, craignant de rejoindre leur club de lecture, elle dédicace son album suivant Is This Desire ? (Island Records, 1998) à Nick. Quatre petites lettres noires sur fond blanc pour souligner la culpabilité et l’amour inconstant dont elle semble s’excuser.

Ce qu’elle n’aurait jamais dû faire : sortir avec son idole.


Vincent Gallo : Remballant son chagrin et le sentiment d’avoir échoué avec son âme sœur australienne, PJ Harvey s’envole pour New-York, États-Unis, pour respirer un autre air et loucher sur ce drôle de garçon qu’est Vincent Gallo : le beau Vincent Gallo fait chavirer des navires entiers de filles par un simple mot qui sort de sa bouche. Elle tombe dans le piège, l’étau se referme sur celle qui a souffert d’un physique qu’elle estimait disgracieux depuis son adolescence. Parce qu’il la regarde, l’aime peut-être un peu et parce qu’il l’emmène dans des quartiers exotiques de NYC, Polly chavire à son tour et compose l’album Stories From The City, Stories From The Sea (Island Records, 2000), dans lequel elle répond à la question posée par l’album précédent : Is This Desire ?. Pire que ça : This Is Love, dit-elle. Le ton de l’album est triomphant, surproduit, et elle apparaît plus que jamais sûre d’elle. Cela est évidemment étrange provenant de cette solitaire qui avait eu peur de quitter sa campagne natale pour Londres. La voici à New-York, amoureuse d’un lascard. L’album ne fera pas date... Cette romance éclate au grand jour lors de la sortie de l’abum Uh Huh Her (Island Records, 2004). Il s’ouvre sur le titre The Life and Death of Mr. Badmouth, adressé à la langue de vipère notoire qu’est Vincent Gallo. Les autres titres de l’album soulignent l’affirmation de PJ Harvey. Parce que c’est nécessaire de s’assurer qui l’on est après avoir été écartée par un méchant garçon. N’est pas Chloë Sevigny qui veut.

Ce qu’elle aurait dû faire : le planter au milieu de Central Park et rentrer à Londres pour Nick ou à Perpignan, pour Pascal (Comelade).

Lassée une nouvelle fois, PJ Harvey évite la dépression en composant un album dans un pur style victorien et écrit à la craie blanche une sensibilité ténue, fragile, sur des pistes lumineuses et cristallines (White Chalk, [Island Records, 2007]). John Parish, l’ami de toujours accourt, peu après, pour lui donner son épaule. Elle s’épanche. Elle écrit Black Hearted Love et les hommes recommencent à tomber amoureux d’elle.




Article paru le 7 juillet 2009 sur Inside Rock

lundi 16 novembre 2009

Tuxedomoon - Desire (1981) : Où la musique est polysémique.


Sorti en 1981 chez Crammed Discs.

Comme si sa volonté était de ne pas mettre sa musique entre les mains de tout le monde Tuxedomoon ouvre son Desire avec un morceau de 14min 55’. Grâce à ce stratagème, exit les punks, exit les mods, exit tous les rockeurs and rollers incapables d’être attentifs à un morceau de plus de 2 min 30’.
Débutant comme un mauvais concert de Pink Floyd, c’est seulement au bout de 5 minutes que l’équipée de San Francisco annonce la couleur de Desire : boîte à rythmes, violon, bouts de ficelles électroniques sur lesquels l’on danserait bien pieds nus dans une vieille maison polonaise. Puis la teinte tzigane de "East/Jinx/…/Music #1" se marie soudain à un saxophone [voir explications tout en bas de l'article] qui ne s’était pas annoncé. Idéalement conçue pour faire gazouiller des oiseaux en métal, la chanson prend ensuite une tournure très expérimentale au niveau de la 10ème minute pour repousser ceux qui avaient réussi à passer l’épreuve de la musique tzigane électronique. A ce niveau de la chanson, les amateurs peuvent enfin se dire : « Ca y est, on est entre nous ». Ainsi fut l’introduction au désir bleu et dansant de Tuxedomoon.

Desire est l’album phare de la discographie de Tuxedomoon, collectif californien d’artistes et de musiciens en tous genres, fondé en 1977, au moment même le punk termine sa puberté en Europe. Signé sur le label des Residents, première partie de DEVO lors de son passage à San Francisco, Tuxedomoon met cependant les voiles vers l’Europe dès le début des années 1980. Et ne la quittera (presque) plus.

Desire. 7 titres pour l’édition originale en 1981 et 11 pour sa réédition en 1987 sous format CD, les 4 nouveaux titres provenant du EP No Tears, sorti pour sa part en 1978. Deux aspects peuvent donc être approchés, selon que l’album Desire se termine sur « Holiday For Plywood » (version originale de 1981) ou sur « No Tears » (réédition agrémentée de 1987).

S’il s’agit de « Holiday For Plywood » : la boîte à rythmes singe un jazz électronique, de vagues pizzicato mettent en scène un malaise sur le point d’arriver. Les cordes font tourner la pièce pour rendre malade et …

« Sometimes in the finest of moments
You find the furniture just doesn’t fit
Something about the carpet
Makes you want to scream »
 
L’album se termine sur une envie de vomir, dans une nausée qui accompagne en principe un baptême de l’air.
S’il s’agit de « No Tears » : un petit boulet efficace aux contours mal définis, même pas carré, où tout déborde mais qui concentre toute la puissance que peut concentrer le mélange de guitares, de boîte à rythmes, de voix grasses, de basse cinglante, sur un texte écrit pour homme/femme au bord de la crise de nerfs.

Ainsi, avec l’un comme l’autre en conclusion, les âmes sensibles devront s’abstenir. La finesse de l’entreprise, celle de créer un album aux influences multiples ET a priori mal adaptées (jazz et électronique, guitares et violon), trouve sa sève dans l’écriture de textes dont la violence excède celle de tous les groupes en colère qui réclame la mort de Dieu. Sur « Victims Of A Dance », Cassandre, la pauvre fille de la mythologie grecque que personne ne croit, semble se balader dans une soirée, titubante (« With an unquenchable thirst / We drink »), psalmodiant sa prophétie contemporaine « We are all victims of a dance ». Cela signifie-t-il qu’il faille se méfier des formes artistiques attirantes, qu’il faille faire l’effort d’aller un peu plus loin que ce qui se donne comme tel ? Oui. Voilà. Voilà le message de Desire, l’album. Et pour le diffuser, le groupe passe par la mythologie grecque…

Continuons. La pièce maîtresse de Desire, l’album, est « Desire », la chanson. La boîte à rythmes lance une boucle qui ne quittera jamais la piste, un clavier vient renforcer la structure de base, puis une voix très claire vient slapper sur le tout comme une corde sur une contrebasse. Ritournelle expérimentale, « Desire » la chanson a un pouvoir dansant très efficace si l’on repousse son contenu. Le désir s’adresse en personne à ceux qui veulent bien l’entendre. Ce désir n’est pas celui des corps ou des autres, mais un désir simplement matériel. En substance, ce désir personnifié – et au moins aussi aimable qu’un Andrew Eldritch dans un Disney – est celui qui se glisse l’air de rien dans le quotidien : « Tu veux cette voiture ? Tu la voudrais pour briller devant tes amis et ta famille… mais tu ne peux pas. Tu n’en as pas les moyens. Trop tard, tu la désires déjà. Te voilà piégé. » Le voici le piège du désir lu par Tuxedomoon, matériel, quotidien, d’une violence inouïe. « Et dire que tu allais danser sur cette chanson… »



Tuxedomoon est un groupe composé de personnes intelligentes dont le rapport au monde est théorique et souligne, toujours avec une délicatesse lexicale, la violence en ce bas monde. La musique de Tuxedomoon se comprend avec toutes les dimensions de son profil : complexité, violence, mélange acoustique, électronique, chant au yaourt bulgare si vous le voulez, mais toutes ces dimensions sont essentielles pour ne rien louper de tout l’art de ces bonhommes. On peut passer outre la portée des textes par exemple, Tuxedomoon restera un groupe intéressant mais ennuyeux. On peut oublier que la figure du Hollow Man est répétitive dans l’album et qu’elle singularise celle de l’homme moderne, mais la musique de Tuxedomoon sera amputée du personnage principal de ses fictions musicales, bref, l’essentiel en somme.

C’est pour cela que cet album est un incontournable. Parce que c’est un piège. Parce que les autres albums et les autres productions des années 1980 ont souvent livré des albums bien compacts, bien sombres, qui se revendiquaient du punk, et déclaraient sans pudeur puiser leur inspiration dans le côté dark du mouvement punk. Desire a un niveau de lecture plus fin, plus cérébral, lâchons ce vilain mot. Les personnages des titres sont tous des hommes et des femmes qui se cognent bêtement contre des choses qui font mal, murs de la vie : le désintérêt, l’incrédulité, le rienàfoutrisme des autres à leur égard. Desire est un piège. Et non, l’auteur de ces lignes ne fait pas sa maligne. Parce qu’elle-même y est aussi tombée à pieds joints, dans le piège du Desire, avant de relever le nez des boucles de la boite à rythmes et de se dire « Attends, attends, c’est quoi leur problème ?... ».

Leur problème ? Ou notre problème ? Leur problème ? Le nôtre ? Le leur ? Je sais pas, écoutez, c’est des gens compliqués Tuxedomoon…


Focus sur le saxophone dans les années 1980 : durant la décennie, à l’exception de Michel Delpech qui en fait usage pour emballer les filles, le saxophone est un instrument qui symbolise une inquiétante présence. Cela mériterait un article mais en attendant, pour se faire une idée, voir ici le court métrage Sax, présent dans le coffret DVD+CD Berlin Super 80 sorti en 2005 chez MonitorPop. Dans ce court métrage, le saxophone est un personnage à part entière, qui se dissimule dans la brume urbaine... et qui fait quand même un peu frémir.


[...]
Article paru le 15 septembre 2009 sur Inside Rock

lundi 29 juin 2009

Divine, le groupe californien français sort son "Is It Loud Enough ?"


Photo : Anne Wild


A Sun City, les palmiers accueillent les visiteurs dès la sortie de l’autoroute et les accompagnent jusqu’aux baies en sable des plages. Ici, la lumière de la nuit est celle du reflet de la lune sur l’eau. La journée, de petits donjons en sable scintillent aux pieds des enfants...

Mais à Sun City, la musique s’écoute en voiture, toutes fenêtres baissées et tant pis pour la limitation de la vitesse. En été, l’air est brûlant sur les nuques et les battements du cœur s’acharnent contre des tempes en sueur. Passer sa main sur le cou n’apaise pas de la chaleur.

Divine a écrit et composé son premier album ici. Entre la plage et le purgatoire. Loin de la complexité de l’actrice homonyme magnifiée par John Waters, LE groupe Divine dont il est question aspire à un "rock simple et efficace". Un boulet rouge qui ne prend pas de gant. Présenté comme le side-project de deux membres de Peach Ftl [1] (Luis Azémar, chant et guitare, et Lül Navarro, batterie), Divine s’applique depuis 2008 à livrer des mélodies percutantes, qui tournent dans la tête comme sur une platine qui ne s’éteint jamais
Rassemblés autour de Is It Loud Enough ?, les quatre membres de Divine (Capucine Hees à la basse et Ben Lhoste à la guitare) soufflent sur les braises de souvenirs de vacances entre copains. Car Is It Loud Enough ? a ce potentiel soundtrack-esque que l’on reconnaît aux albums qui évacuent la pose et la sophistication. Avec Divine, c’est tout le monde dans la bagnole et hop, on roule droit devant.

Is It Loud Enough ? est un album où tout est gestion de puissance, où des mains expertes [2] en dispositifs de type boutons de table de mixage ont oscillé, à droite, un peu plus à droite, puis à gauche, et un peu moins à gauche. Exemple : Getting Out joue sur les à-coups d’un chemin accidenté (« Lilly Fox, is it just a joke ? », hein, alors ? Lilly ?) et déroule de cette façon un tapis rouge à une belle nervosité, martelée, dirigée contre (?) Lilly Fox qui prendra une seconde gifle deux pistes plus loin. Avec un tel revers à 360°, l’énergie poursuit son chemin sans peine, repue, le parallélisme est sauf, la route est droite. Le groupe a intériorisé des sonorités de la côte Ouest et fait rejaillir les plus improbables d’entre elles pour les passer à travers un filtre qui n’aurait pas déplu à Butch Vig, l’auteur du son clean des types d’Aberdeen. Tiré à quatre épingles et puissant à la fois, The Way (240 000 écoutes au compteur Myspace de Divine) exprime la rancœur avec élégance, faisant d’une contradiction du quotidien, une redoutable déclaration d’intention. Et ce n’est pas sans raison que cette assurance se prolonge sur I.B.T.O. qui invite à toutes sortes de choses rock et exutoires : s’improviser batteur avec ses couverts à table, sur le volant de sa voiture, sur la tête de son amoureux (qui n’appréciera que partiellement, évidemment), ou sur une vraie batterie (c’est un exemple). « I’ll be the one you want » (que l’on peut traduire par « Je serai ton gars, que tu le veuilles ou non ») reste sur les lèvres, s’amusant de la teneur de petits défis relationnels (comme l’attraction, le rejet ou encore le mensonge).



Alors, d’aucuns s’exprimeront et diront que tout cela va très vite, évidemment. Mais la réponse est : non. Cela n’est pas aussi simple car l’impact de Divine n’est pas question de métronome. La preuve avec Exit To Eden, idéale road-song californienne, parfaite pour s’injecter la chaleur du soleil derrière un pare-brise. Et c’est sur cet exercice que Divine démontre avec habileté la cohérence qui lie son intention à son moyen : une détermination, positive, en guise de fil rouge pour livrer des mélodies simples, ritournelles power-pop, dignes héritières d’un intense background rock. Turn On The Light et Motorbike côtoient de près des influences déclarées (Weezer et Jimmy Eat World) et Everlasting Plea intriguera les oreilles sensibles au(x) combo(s) d’un grand roux qui enregistre parfois dans le désert.

Is It Loud Enough ? invite à rejoindre un imaginaire où le soleil cogne mais ne blesse pas, où les guitares électrisent des six voies rapides et où une voix, par certains de ses aspects dont sa profondeur, encourage aussi bien qu’elle ne bouscule (Black Moon). Composé d’une traite, ingéré en une fois, imprégnant pour plus longtemps, ce premier album réussi se referme sur l’épilogue d’une virée sur du bitume fumant : Think Twice, c’est la voiture qui s’éloigne, tambours battants, sur une dernière ligne droite, filant de plus en plus loin, loin... loin et qui laisse l’auditeur sur le bord de la route, les cheveux dans la bouche, le sable dans les yeux et les sifflements dans les oreilles. Il guettera le retour de la voiture. Sur le bord de la route. En faisant du stop. Entre la plage et le purgatoire.


[1] Découvrir et écouter Peach ftl.
[2] En l’occurrence, celles de Duke Hill et Eddie West, producteurs. L’album a été enregistré chez TrendkillStudio, à Montpellier d’où le groupe est originaire.

Chronique parue sur Inside Rock le 9 juin 2009.
Rubrique Découvertes.

Divine sort son premier album It It Loud Enough ? (Spectre/Universal) en septembre 2009. Il est déjà en écoute sur leur Myspace.

samedi 27 juin 2009

Les Virgins Prunes : "Baby Turns Blue", l'explication de texte




En 1996, Gavin Friday, leader de Virgin Prunes, déclarait : "Le gothique c’est de la merde, je n’ai jamais été goth ! Tout cela, c’était parce que nous portions du maquillage et des habits noirs. Ecoute la musique, lis les paroles, nous n’avions rien à voir avec le gothique" (note 1). Pourtant, c’est sur le dancefloor des caves et des péniches d’Europe que l’une de leurs chansons, Baby Turns Blue invite encore à ce jour à la syncope collective en rythme.

Copains comme cochons avec les membres de l’Autre Groupe Irlandais (note 2), les allumés de Virgin Prunes (note 3) sont loin d’être vierges de tout pêché, ce qui fonde le mythe de leurs premières sorties scéniques dès 1977. Se jouant des genres, éructant en peignoir orange sur scène ou feignant des pratiques sexuelles réprimées dans certains pays, les Virgin Prunes attirent rapidement l’attention de non moins borderline qu’eux. En plus des quatre musiciens qui officient à ses débuts, le groupe est composé de trois chanteurs qui rivalisent de séduction macabre et de loufoqueries vestimentaires : Gavin Friday, il est brun et mégalomane ; Guggi, le blond décoloré parfois en mini-jupe en cuir ; et le fameux Dave-Id Busaras, recruté à sa sortie de l’hôpital psychiatrique, aux performances moins assidues. Qui dit mieux ? Baby Turns Blue, grand classique du dancefloor batcave, reflète cette part folle d’asymétrie mentale et de contradiction érigée en principe à l’insu de ses auteurs.

Mary et John, les deux personnages invoqués par Baby Turns Blue ne se connaissent a priori pas mais ont en commun leur destin (tragique). Gavin Friday s’adresse à ces deux âmes tristes et les met en garde contre eux-mêmes : « Mary ne la ramène pas trop, et toi, John, tu es déjà mort mais sache que ce n’est pas une solution ». (« Mary be so proud, things that are not allowed /[...] John had a bomb and he lit it in his head / Went to bed for seventeen weeks / Took too many drugs now he don’t eat »). Parce que quoi qu’il arrive les gars, on affranchira votre cercueil et vous prendrez le premier train direction Très Loin (« They put you in a box, send you up to heaven »).

Comment en arrive-t-on là ? La réalité de Baby Turns Blue (qui signifie « Bébé meurt ») est celle de la lâcheté, du manque de courage, du « Bof, je le ferai demain... sauf si quelqu’un le fait à ma place ». Dans la peau de Mary et John, tout est affaire de faiblesses (« Give me money / give me sex / Give me food and cigarette ») et de vices dont on pourrait difficilement se passer, à moins d’être un robot tout froid. Sauf que certains l’assument et d’autres, pas. Et c’est tout le drame de cette chanson où les dépendances font rage, tant et si bien que lorsqu’une vraie question se pose (« What should we do if baby turns blue ? »), tout le monde détale et fuit sa responsabilité (« It was an accident I didn’t mean it ! »).

Les prénoms retenus par l’auteur du texte valent aussi leur pesant de signification : en réalité, Mary et John, cela pourrait être vous ou moi, des prénoms simples, répandus, dont le choix souligne l’extrême banalité de l’issue de chacun, quel que soit le moyen de l’atteindre. Parce que Baby Turns Blue n’a pas d’autre ambition que de mettre le nez de chacun dans son irresponsabilité. C’est tellement facile d’attendre que les autres fassent les choses à notre place. C’est tellement facile aussi d’écraser les autres comme on écrase une mouche (« Shooting out in someone’s dream / Shooting out in something else »). Sauf que Virgin Prunes tire le trait jusqu’à briser la mine de son crayon.

Cette triste histoire rappellera à la mémoire de chacun la scène nauséeuse de Trainspotting [1996] où les protagonistes découvrent, la bave au coin des lèvres, le corps inanimé du petit bébé qui, quelques instants plus tôt, pleurnichait et grimpait au plafond. Le rejet de la responsabilité des uns sur les autres (« Nothing ever makes much sense / YOU don’t seem to make much sense ») est chose aisée pour ceux qui se cachent derrière le canapé pendant la levée du corps.

Tout ceci fait évidemment froid dans le dos. Rien n’est agréable avec Virgin Prunes, bien qu’il soit facile de tomber dans le panneau. Qui ne danserait pas sur Baby Turns Blue ? [(note 4) . D’ailleurs, en 2002, repérant le potentiel danceflooresque du titre, les belges de 2 Many DJ’s ont passé Baby Turns Blue à une moulinette qui a eu au moins le mérite (?) d’élargir son public. Ce sont toujours des clubbers qui s’agitent sur son rythme mais celui-ci est désormais hystérique, impulsif, un peu vulgaire, pour être honnête.

Certains titres des Virgin Prunes ont tenu tête à l’oubli systématique des groupes des années 1980. Walls of Jericho [1982], immense manifeste identitaire pèse lourd dans la balance du patrimoine gothique et en déborde puisqu’il inspire le nom d’un groupe hardcore de Detroit, en activité depuis 1998. Love lasts forever [1986], tirade d’amour de 8’25 inaugurée par un hululement glacial marque la carrière des gars de Dublin et reste un repère fort dans leur discographie. Enfin Pagan Lovesong [1982] constitue la porte d’entrée de l’œuvre de Virgin Prunes, le bout de ficelle sur lequel le néophyte tire pour dérouler la pelote de laine, noire, si possible, la laine...

Quant aux membres des Virgin Prunes, que sont-ils devenus ? Le groupe s’est séparé en 1986, puis d’anciens membres se sont reformés sous le nom de The Prunes (exécré en bonne et due forme par Gavin Friday), puis certains sont peut-être morts quand d’autres se reconvertissent dans l’art contemporain (Gavin lui-même)... Pendant ce temps, l’Autre Groupe Irlandais remplit des stades. Et ça fait 30 ans que ça dure.



[1] Propos recueillis par Frédéric Thébault et Christophe Labussière pour Premonition #22.
[2] Il s’agit évidemment de U2. Bien avant la création des deux groupes, leurs leaders respectifs étaient membres du groupe de réflexion « mystique » appelé The Lypton Village. Les noms civils des membres du Village étaient reformulés à leur intégration. Et voilà comment Paul David Hewson devint Bono Vox et David Howell Evans, The Edge, dont le grand frère occupe la place de guitariste au sein de Virgin Prunes.
[3] Des braises fumantes et anticipées du punk, émerge un combo transgenre, lecteur de J. K. Huysmans, de J. Genet et d’Isidore Ducasse, répondant au nom de The Beautiful People. S’estimant probablement pas si beaux que ça, ces joyeux lurons se rebaptisent Virgin Prunes en 1979. Ne voyez aucune différence entre ces deux dénominations : selon les membres, un ou une « virgin prune » est une personne observée comme marginale, en faille avec les normes et pourtant, révélant de fait une certaine forme de beauté (« A new form of Beauty » sera le titre d’un projet mi-arty mi-musical du groupe). Être un ou une « virgin prune », c’est être par conséquent une belle personne (« a beautiful people »).
[4] Gavin Friday, en 1996 : « On a tout fait pour ça, c’est du disco qui n’est pas dansable, et sur Baby Turns Blue, Mary fait de la percussion disco parodique (rires) très funky... Grandmaster flash ». Cf. Premonition #22.


Pour écouter la chanson, cliquez .
Article paru sur Inside Rock le 2 juin 2009.
Rubrique : Paroles/Textes. Chanson : "Baby Turns Blue", sur "If I die, I Die", Rough Trade, 1982.

lundi 22 juin 2009

Elvis Presley est toujours vivant ! Grâce à Peter Guralnick...



Last Train To Memphis/Careless Love
, par Peter Guralnick.
Parus chez Le Castor Astral respectivement le 22 novembre 2007 et le 4 décembre 2008.

Depuis le magma lointain des centaines de milliers de lignes des 1 452 pages qui composent l’œuvre de Peter Guralnick sur Elvis Presley, (et que j'ai lues, je précise) une question émerge : qui, de Peter ou d’Elvis, est la véritable star de cette somme ? Deux niveaux de lecture sont alors proposés. Le premier, évident, porte au nues un homme seul, célébrissime, malade, génial. L’autre, en palimpseste, suggère le travail minutieux d’un homme fidèle, admiratif, respectueux, acharné.

Peter Guralnick consacre deux tomes à la vie d’Elvis Presley : Last Train To Memphis - Le Temps De l’Innocence, dédié à la période 1935-1958, soit jusqu’au départ pour l’Allemagne et Careless Love - Au Royaume De Graceland qui couvre le reste de sa vie, jusqu’en août 1977. Les volumes sont sortis aux Etats-Unis respectivement en 1994 et 1999 et les paresseux francophones attendront plus de dix ans pour se délecter de la plume de ce critique de musique, dont les compétences dépassent tant cette étiquette. Car P. Guralnick est ce type de journaliste capable de passer ses nuits sur une note de bas de page, de préparer pendant des semaines un entretien de quelques heures avec un protagoniste du mythe et de saigner sur sa retranscription. Une sorte de chercheur, en quelques sortes, mais un chercheur de la musique. Sa dévotion et son honnêteté vis-à-vis des faits donnent un résultat qui fait prendre Elvis Presley par la main, aussi tendrement que l’on étreint un vieil ami de la famille.

Du King, les choses sont sues. Son amour infini pour sa mère, sa foi en des valeurs conservatrices, au moins au début de sa vie et de sa carrière, l’explosion de la célébrité qui succède à l’entrée au studio Sun Records, durant l’été 1953, sous l’œil attendri de Marion Keisker, assistante de Sam Phillips, l’apparition du Colonel Tom Parker, vieux forain expert en tours de passe-passe passe passe marketing redoutables, l’Allemagne, Priscilla Ann Beaulieu, les pilules, les mauvais films, les rôles pour lesquels il ne lui a jamais été demandé de composer, les tournées à forte rentabilité, Las Vegas. Puis la mort. Stupide mort, le 16 août 1977, à Graceland : le vomi, les serviettes en éponge dégoulinant, la masse de graisse qui déborde du pyjama, Lisa-Mary, 9 ans, qui assiste à la scène. "Quelque chose ne va pas avec mon papa, et moi, je veux savoir ce que c’est !" (tome 2, p. 756). Ginger, dernière compagne du King, ferma les portes. Le mythe posthume se mit alors en marche.


Les paillettes qui habillent le mythe Elvis Presley reflètent si fort sur l’inconscient collectif que son souvenir est fait d’images brillantes et choquantes. Ces images, comme toute histoire ré-appropriée par la naissante pop culture des années 1950-1960, laissent peu de d’espace à son héros. Il appartient à l’histoire, à un pays, les Etats-Unis, et il n’est pas question de se faire dérober un emblème si fort du rêve américain. Pourtant, sur les capes brodées d’or que décrit Peter Guralnick se lit la montée irrésistible de la paranoïa et de l’immense tristesse de l’homme flamboyant que fut Elvis à son retour à la télévision en 1968, sur NBC.

Ce que nous tend P. Guralnick sur un plateau, c’est un Elvis Presley qui tourne en rond dans une pièce sans porte ni fenêtre, et se cogne contre des murs recouverts de crépis. L’homme est blessé, toute sa vie. Le travail pharaonique de l’auteur Guralnick ne livre pas de solution clé en mains sur la compréhension du phénomène de Tupelo mais tisse au contraire une immense toile, où l’importance de menus détails prétend apporter du sens aux démonstrations publiques. Guralnick, immense auteur de l’histoire de la musique, a rencontré tous les proches d’Elvis, et même les lointains, pour entrer dans la tête de l’homme qui parlait de lui-même, en ces termes, en 1953 : « Je chante tous les styles [...] Je ne ressemble à personne » (tome 1, pp. 79-80).

De l’expérience de Hal Kanter, réalisateur venu rendre visite à Elvis en 1957, Peter Guralnick relatera le témoignage le plus « fou » jamais recueilli sur la puissance d’Elvis : lors d’un concert, une jeune fille, amputée de la main, mordait son moignon pour s’empêcher de crier (tome 1, p. 399). Parce que ce témoignage est irréel et parce que Peter Guralnick le glisse entre deux paragraphes, l’air de rien, c’est-à-dire sans juger le caractère excessif, démesuré, insensé de l’acte, le lecteur peut tourner les pages sans crainte. Guralnick n’essaie pas de raconter une version des faits. Pour lui, l’important est que tous les hommes et toutes les femmes qui ont touché de près la gloire avec le King puissent trouver les mots pour en parler. P. Guralnick leur fait la part belle et c’est ainsi que ce génie de l’histoire de la musique signe la biographie la plus honnête de l’homme le plus seul. Qui, de Peter ou d’Elvis, est la star de cette œuvre ? Les deux, évidemment. Au même niveau.

Car d’Elvis Presley, tout sera dit au lecteur. Le mythe ne sera pas exposé sous une cloche en verre mais à la portée du visiteur. Toucher l’œuvre est même obligatoire.


Article paru dans Inside Rock le 23 juin 2009. 

jeudi 18 juin 2009

"California Girls", le single-pamphlet des Magnetic Fields (2008)


Sortie sur l’album Distortion le 15 janvier 2008 (Nonesuch Records)

Avec la deuxième piste de l’album Distortion paru en 2008, The Magnetic Fields s’assure la sympathie d’un certain nombre de publics particuliers. California Girls (non, il n’y a pas que les Beach Boys dans la vie) s’adresse aux personnes en difficulté pondérale, aux couples qui doivent faire un "choix" entre payer la voiture et refaire le nez de madame, aux ménagères aux cheveux gris qui pleurent les joues roses de leur 20 ans. Stephin Merritt, l’Auteur du texte interprété par Shirley Simms, collaboratrice du groupe de la côte Est, se fait ici le prophète des oubliés, le guide spirituel des gens complexés, en grattant, vraiment fort, le vernis des filles de Californie.

Tel un super héros, Stephin Merritt avec le support vocal de Shirley, rôde au-dessus de Los Angeles et se fait une joie de massacrer, le mot est faible, la beauté juvénile de ces petites pestes à la peau trop bronzée pour être naturelle.
See them on their big bright screen
Tan and blonde and seventeen
Eating nonfood keeps them mean
But they’re young forever
[...]
I hate California girls




Voici un message qui a le mérite d’être clair : il les déteste. Avec la voix haut perchée de Shirley, officiellement inspirée par les salissures voulues des bandes de Psychocandy (1985) de The Jesus and Mary Chain, notre Super Stephin vise et tire à boulets rouges sur tout ce qui remue un peu trop son booty sur la plage de Santa Monica. Il ne craint rien, et dénonce les usages douteux que font ces demoiselles de coupe-faims illégaux, ce qui peut avoir pour conséquence de tomber dans l’oreille d’un narcotrafiquant, qui placera un contrat sur sa tête de chanteur engagé, mais Stephin Merritt, ce n’est pas Bob Dylan, alors du calme. Leur différence : l’un a de l’humour, l’autre, moins.

They breathe coke and have affairs
with each passing rock star
[...]
I hate California girls
  
Super Stephin est lancé, la rage monte et les dents grincent (à condition de ne pas être passé chez l’orthodentiste). Il ne fait pas bon être une Paris H***** sur le chemin de cet auteur reconnu pour ses saillies drôles et ses rafales de mots ironiques (même Trent Reznor est fan [voir explications ne bas d'article] ). Lisons.

So
I have planned my grand attacks
I will stand behind their backs
with my brand-new battle ax
Then they will they taste my wrath
They will hear me say
as the pavement whirls
« I hate California girls... »
 
Merritt s’acharne sur ses victimes en faisant répéter ses trois dernières lignes presque dix fois à Shirley. On ne s’en lasse pas.

Ce bonhomme n’est pas un musicien comme les autres. Vrai bon groupe américain, The Magnetic Fields joue avec les codes et sert des albums loins de la nécessité du prêt à écouter. Avec Distortion, son huitième album, The Magnetic Fields poursuit son projet de livrer des oeuvres sans synthetiseurs (le premier album de cette trilogie étant i, sorti en 2004, dont le titre de chaque chanson commence par la lettre i) et la patine noise de Distorsion est bienvenue dans un paysage parfois un brin surproduit.

La particularité de Magnetic Fields sont ses textes, hilarants, drôles. D’ailleurs, lors d’un entretien au Village Voice en octobre 2008, Stephin Merritt s’explique davantage sur son penchant pour peindre des portraits ravageurs et ironiques que sur la généalogie du disque ou du groupe. Là aussi, l’homme déplace à peine le curseur pour laisser apprécier le second degré de son art. Mais sa maman ne comprend pas, dit-il.

Admirons !




Il suffit de lire les commentaires qu’il adjoint aux pistes en streaming qu’il compile sur le site blip.fm. Cliquer là)


[...]
Article paru le 14 juillet 2009 sur Inside Rock

jeudi 21 mai 2009

La généalogie capillaire de Trent Reznor


Trent Reznor, 44 ans, fondateur et leader du groupe Nine Inch Nails, brise le coeur, en ce moment-même, de centaines de milliers de fans féminines. Oui, c’est officiel : ce monsieur va épouser une madame qui, une fois les papiers remplis, sera Madame Reznor. Raz de marée numérique sur les forums et les blogs : c’est le cataclysme. Car Trent Reznor est un beau gosse. Enfin, moi je trouve.

Mais King Of Pain n’a pas toujours reçu les faveurs de Dame Nature. Pourtant, génie informatique, excellent compositeur (il suffit d’écouter un titre comme La Mer sur The Fragile [1999] pour s’en convaincre, ou bien de réécouter sa propre version de Hurt sur The Downward Spiral [1994], reprise quelques temps plus tard par un Johnny Cash en phase terminale), Michael Trent Reznor est un homme de son temps. Sauf que le temps, ça passe... et que les cheveux, ça pousse.

Retour sur la carrière de l’homme qui aujourd’hui fait trembler Apple, à travers ses divagations (ou égarements, ou digressions, ou erreurs, n’ayons pas peur des mots) capillaires.


Photo 1
 198x ? Photo non datée (photo 1). Le jeune Trent vit avec ses grands parents qui le sensibilisent à la musique. Pianiste précoce, c’est depuis le clavier d’un Moog que Reznor fera s’envoler ses premières ritournelles (de celles que l’on peut saisir parfois sur Into The Void [1999] ou All the Love in the World [2005] notamment). Sauf que ses cheveux tous drus ne risquent pas de s’envoler, eux, tant la brosse des eighties fait rage dans les lycées des quartiers de la middle-class. La force de cette photo, c’est le caractère hybride de la coupe de cheveux, en raison de la timide raie au milieu du crâne qui tait son nom. On le sent très bien : Reznor amorce un virage fondamental dans sa carrière de garçon-coiffeur.


Photo 2

Et hop ! 1982. Trent intègre un groupe de Cleveland, Option 30. Sur la pochette (photo 2, à droite) de la seule maquette à laquelle participera notre héros, ce dernier manifeste un enthousiasme qui fait plaisir à voir. « Mes cheveux poussent ! Mes cheveux poussent ! ». C’est l’envol du papillon, le début de l’indépendance, la résiliation de l’abonnement chez le coiffeur de famille.



Photo 3
Car... car Trent se fait désormais couper les cheveux par ses copains (photo 3, au centre). C’est une solution économique adaptée pour celui qui avouera plus tard avoir récuré les toilettes d’un studio d’enregistrement pour pouvoir manger. De cette belle époque, durant laquelle il se fait prêter des ordinateurs pour enregistrer son premier single, Down in it, Trent gardera le goût de la provocation et des habits noirs, en cuir de préférence et en latex (ggrrrh...) parfois.



Photo 4
Down in it est le tube qui lancera Trent dans le monde de la musique (en tous cas, celle qui fait gagner de l’argent). Nous sommes en 1989 et Nine Inch Nails, le groupe derrière lequel... il est tout seul, sort son premier album : Pretty Hate Machine. Et là, Trent Reznor ne plaisante plus, trop content qu’il est de voir son album dans les charts US au même moment où ses dreads commencent à caresser ses épaules (photo 4). Ça tombe bien et Reznor dit adieu aux années 80 en arborant, pas peu fier, le bandana (grave eighty) qui l’a accompagné durant toutes ces années.
En 1992, sort Broken, son deuxième biscuit. Désormais célèbre, Trent ne soigne plus son image (ce qui est un moyen de la soigner, comme chacun sait). Et là, c’est le début de la diabolisation dans les médias et de la saturation excessive des Korg de collection qu’il n’hésite pas à briser sur scène (apport essentiel à l’histoire des lives du rock and roll). « After everything I’ve done I hate myself for what I’ve become », murmure-t-il sur Gave Up. Voilà qui est dit et qui n’est pas fait pour rassurer.

Photo 5

La sortie de The Downward Spiral deux ans plus tard vient enfoncer le clou du brushing gothique qui sied aux démonstrations vocales et physiques d’un titre comme March of The Pigs (ah, le clip de cette chanson : une prise en direct, une violence rare, une line-up des plus terrifiantes, une puissance abdominale certaine). Aux prises avec les démons de l’enfer, Trent vit mal cette période et décide de s’enfermer dans sa grande maison de rock star pour soulager son cuir chevelu des dommages causés par la boue de Woodstock 1994 (photo 5).




Photo 6
Puis The Fragile pète à la figure du monde entiiieeer en 1999. Reposé, désintoxiqué, douché (?), notre bonhomme scanne le monde qui l’attend derrière sa belle mèche effilée (photo 6). On n’a jamais vu dégradé capillaire aussi menaçant. Si l’on entend les mouches voler sur le titre « Ripe (with decay) », c’est bien parce que Trent Le Conquérant s’apprête à n’avoir plus rien à faire de l’industrie du disque (et l’on sait à ce jour que l’avenir lui donnera raison).





Photo 7
Il faudra attendre 2005 pour réentendre le groove cinglant du premier VRP d’Apple et Cie. Six ans d’attente pour l’album With Teeth et autant de coups de ciseaux qui ont eu raison de l’instabilité de ses crins. En paix avec lui-même et avec ses mèches, Trent Reznor prend la pose au milieu de paysages sortis de l’imagination de son directeur artistique Rob Sheridan (photo 7).

Cette photo porte un message intéressant : pour la première fois, le regard est porté vers le bas. Disparition de la défiance et apaisement des tensions, la pose du penseur debout est ici inaugurée. Le message est clair : « Je n’ai plus peur de ce qui peut me tomber sur la tête. Mate un peu ma tignasse ».





 
La délivrance des maisons de disques et de leurs contraintes juste après Year Zero [2007] fait du jeune Trent mal dans sa peau, un homme confiant qui ne s’enquiquine plus avec le style : « Hop, coupez moi ça tout court, je pars en tournée pendant des mois, pas envie d’être emmerdé moi » (photo 8).

Photo 8

Le look du quadra à l’aise dans ses pompes est adopté par notre homme et ne le quittera plus. La pose des bras ballants non plus mais c’est loin de l’attentisme des monstres de type major que Reznor développe désormais un business model basé sur la gratuité... pour se faire un max d’argent. Et vous savez quoi ? Et bien, ça marche. Ghosts I-IV [2008] a fait sonner et trébucher plus de 1,6 millions de dollars en une semaine dans la soupière reznorienne. Notre cher bonhomme n’est pas près de perdre ses cheveux.
C’est ainsi avec les yeux grand ouverts et le front dégagé que Trent Reznor te regarde en 2009. Je crois bien qu’il n’y a rien d’autre à ajouter. Ce garçon est un homme comme les autres. Obsédé par ses cheveux.






Article paru initialement sur Inside Rock, mai 2009.

dimanche 11 janvier 2009

Revue "Ce singe monté au ciel" #2


Photo reprise par la revue "Ce singe monté au ciel" #2
pour sa compil de décembre 2008 qui propose
Minuscule Hey, Kid Bombardos, Alex Rossi,
No Hay Banda, (Co)-Pilot, Bandini etc.


Voir et écouter la page Myspage des éditions Poussière,
qui édite "Ce songe qui monte au ciel".

Un merci à Olivier Martinelli, le tonton des Kid.