lundi 29 juin 2009

Divine, le groupe californien français sort son "Is It Loud Enough ?"


Photo : Anne Wild


A Sun City, les palmiers accueillent les visiteurs dès la sortie de l’autoroute et les accompagnent jusqu’aux baies en sable des plages. Ici, la lumière de la nuit est celle du reflet de la lune sur l’eau. La journée, de petits donjons en sable scintillent aux pieds des enfants...

Mais à Sun City, la musique s’écoute en voiture, toutes fenêtres baissées et tant pis pour la limitation de la vitesse. En été, l’air est brûlant sur les nuques et les battements du cœur s’acharnent contre des tempes en sueur. Passer sa main sur le cou n’apaise pas de la chaleur.

Divine a écrit et composé son premier album ici. Entre la plage et le purgatoire. Loin de la complexité de l’actrice homonyme magnifiée par John Waters, LE groupe Divine dont il est question aspire à un "rock simple et efficace". Un boulet rouge qui ne prend pas de gant. Présenté comme le side-project de deux membres de Peach Ftl [1] (Luis Azémar, chant et guitare, et Lül Navarro, batterie), Divine s’applique depuis 2008 à livrer des mélodies percutantes, qui tournent dans la tête comme sur une platine qui ne s’éteint jamais
Rassemblés autour de Is It Loud Enough ?, les quatre membres de Divine (Capucine Hees à la basse et Ben Lhoste à la guitare) soufflent sur les braises de souvenirs de vacances entre copains. Car Is It Loud Enough ? a ce potentiel soundtrack-esque que l’on reconnaît aux albums qui évacuent la pose et la sophistication. Avec Divine, c’est tout le monde dans la bagnole et hop, on roule droit devant.

Is It Loud Enough ? est un album où tout est gestion de puissance, où des mains expertes [2] en dispositifs de type boutons de table de mixage ont oscillé, à droite, un peu plus à droite, puis à gauche, et un peu moins à gauche. Exemple : Getting Out joue sur les à-coups d’un chemin accidenté (« Lilly Fox, is it just a joke ? », hein, alors ? Lilly ?) et déroule de cette façon un tapis rouge à une belle nervosité, martelée, dirigée contre (?) Lilly Fox qui prendra une seconde gifle deux pistes plus loin. Avec un tel revers à 360°, l’énergie poursuit son chemin sans peine, repue, le parallélisme est sauf, la route est droite. Le groupe a intériorisé des sonorités de la côte Ouest et fait rejaillir les plus improbables d’entre elles pour les passer à travers un filtre qui n’aurait pas déplu à Butch Vig, l’auteur du son clean des types d’Aberdeen. Tiré à quatre épingles et puissant à la fois, The Way (240 000 écoutes au compteur Myspace de Divine) exprime la rancœur avec élégance, faisant d’une contradiction du quotidien, une redoutable déclaration d’intention. Et ce n’est pas sans raison que cette assurance se prolonge sur I.B.T.O. qui invite à toutes sortes de choses rock et exutoires : s’improviser batteur avec ses couverts à table, sur le volant de sa voiture, sur la tête de son amoureux (qui n’appréciera que partiellement, évidemment), ou sur une vraie batterie (c’est un exemple). « I’ll be the one you want » (que l’on peut traduire par « Je serai ton gars, que tu le veuilles ou non ») reste sur les lèvres, s’amusant de la teneur de petits défis relationnels (comme l’attraction, le rejet ou encore le mensonge).



Alors, d’aucuns s’exprimeront et diront que tout cela va très vite, évidemment. Mais la réponse est : non. Cela n’est pas aussi simple car l’impact de Divine n’est pas question de métronome. La preuve avec Exit To Eden, idéale road-song californienne, parfaite pour s’injecter la chaleur du soleil derrière un pare-brise. Et c’est sur cet exercice que Divine démontre avec habileté la cohérence qui lie son intention à son moyen : une détermination, positive, en guise de fil rouge pour livrer des mélodies simples, ritournelles power-pop, dignes héritières d’un intense background rock. Turn On The Light et Motorbike côtoient de près des influences déclarées (Weezer et Jimmy Eat World) et Everlasting Plea intriguera les oreilles sensibles au(x) combo(s) d’un grand roux qui enregistre parfois dans le désert.

Is It Loud Enough ? invite à rejoindre un imaginaire où le soleil cogne mais ne blesse pas, où les guitares électrisent des six voies rapides et où une voix, par certains de ses aspects dont sa profondeur, encourage aussi bien qu’elle ne bouscule (Black Moon). Composé d’une traite, ingéré en une fois, imprégnant pour plus longtemps, ce premier album réussi se referme sur l’épilogue d’une virée sur du bitume fumant : Think Twice, c’est la voiture qui s’éloigne, tambours battants, sur une dernière ligne droite, filant de plus en plus loin, loin... loin et qui laisse l’auditeur sur le bord de la route, les cheveux dans la bouche, le sable dans les yeux et les sifflements dans les oreilles. Il guettera le retour de la voiture. Sur le bord de la route. En faisant du stop. Entre la plage et le purgatoire.


[1] Découvrir et écouter Peach ftl.
[2] En l’occurrence, celles de Duke Hill et Eddie West, producteurs. L’album a été enregistré chez TrendkillStudio, à Montpellier d’où le groupe est originaire.

Chronique parue sur Inside Rock le 9 juin 2009.
Rubrique Découvertes.

Divine sort son premier album It It Loud Enough ? (Spectre/Universal) en septembre 2009. Il est déjà en écoute sur leur Myspace.

samedi 27 juin 2009

Les Virgins Prunes : "Baby Turns Blue", l'explication de texte




En 1996, Gavin Friday, leader de Virgin Prunes, déclarait : "Le gothique c’est de la merde, je n’ai jamais été goth ! Tout cela, c’était parce que nous portions du maquillage et des habits noirs. Ecoute la musique, lis les paroles, nous n’avions rien à voir avec le gothique" (note 1). Pourtant, c’est sur le dancefloor des caves et des péniches d’Europe que l’une de leurs chansons, Baby Turns Blue invite encore à ce jour à la syncope collective en rythme.

Copains comme cochons avec les membres de l’Autre Groupe Irlandais (note 2), les allumés de Virgin Prunes (note 3) sont loin d’être vierges de tout pêché, ce qui fonde le mythe de leurs premières sorties scéniques dès 1977. Se jouant des genres, éructant en peignoir orange sur scène ou feignant des pratiques sexuelles réprimées dans certains pays, les Virgin Prunes attirent rapidement l’attention de non moins borderline qu’eux. En plus des quatre musiciens qui officient à ses débuts, le groupe est composé de trois chanteurs qui rivalisent de séduction macabre et de loufoqueries vestimentaires : Gavin Friday, il est brun et mégalomane ; Guggi, le blond décoloré parfois en mini-jupe en cuir ; et le fameux Dave-Id Busaras, recruté à sa sortie de l’hôpital psychiatrique, aux performances moins assidues. Qui dit mieux ? Baby Turns Blue, grand classique du dancefloor batcave, reflète cette part folle d’asymétrie mentale et de contradiction érigée en principe à l’insu de ses auteurs.

Mary et John, les deux personnages invoqués par Baby Turns Blue ne se connaissent a priori pas mais ont en commun leur destin (tragique). Gavin Friday s’adresse à ces deux âmes tristes et les met en garde contre eux-mêmes : « Mary ne la ramène pas trop, et toi, John, tu es déjà mort mais sache que ce n’est pas une solution ». (« Mary be so proud, things that are not allowed /[...] John had a bomb and he lit it in his head / Went to bed for seventeen weeks / Took too many drugs now he don’t eat »). Parce que quoi qu’il arrive les gars, on affranchira votre cercueil et vous prendrez le premier train direction Très Loin (« They put you in a box, send you up to heaven »).

Comment en arrive-t-on là ? La réalité de Baby Turns Blue (qui signifie « Bébé meurt ») est celle de la lâcheté, du manque de courage, du « Bof, je le ferai demain... sauf si quelqu’un le fait à ma place ». Dans la peau de Mary et John, tout est affaire de faiblesses (« Give me money / give me sex / Give me food and cigarette ») et de vices dont on pourrait difficilement se passer, à moins d’être un robot tout froid. Sauf que certains l’assument et d’autres, pas. Et c’est tout le drame de cette chanson où les dépendances font rage, tant et si bien que lorsqu’une vraie question se pose (« What should we do if baby turns blue ? »), tout le monde détale et fuit sa responsabilité (« It was an accident I didn’t mean it ! »).

Les prénoms retenus par l’auteur du texte valent aussi leur pesant de signification : en réalité, Mary et John, cela pourrait être vous ou moi, des prénoms simples, répandus, dont le choix souligne l’extrême banalité de l’issue de chacun, quel que soit le moyen de l’atteindre. Parce que Baby Turns Blue n’a pas d’autre ambition que de mettre le nez de chacun dans son irresponsabilité. C’est tellement facile d’attendre que les autres fassent les choses à notre place. C’est tellement facile aussi d’écraser les autres comme on écrase une mouche (« Shooting out in someone’s dream / Shooting out in something else »). Sauf que Virgin Prunes tire le trait jusqu’à briser la mine de son crayon.

Cette triste histoire rappellera à la mémoire de chacun la scène nauséeuse de Trainspotting [1996] où les protagonistes découvrent, la bave au coin des lèvres, le corps inanimé du petit bébé qui, quelques instants plus tôt, pleurnichait et grimpait au plafond. Le rejet de la responsabilité des uns sur les autres (« Nothing ever makes much sense / YOU don’t seem to make much sense ») est chose aisée pour ceux qui se cachent derrière le canapé pendant la levée du corps.

Tout ceci fait évidemment froid dans le dos. Rien n’est agréable avec Virgin Prunes, bien qu’il soit facile de tomber dans le panneau. Qui ne danserait pas sur Baby Turns Blue ? [(note 4) . D’ailleurs, en 2002, repérant le potentiel danceflooresque du titre, les belges de 2 Many DJ’s ont passé Baby Turns Blue à une moulinette qui a eu au moins le mérite (?) d’élargir son public. Ce sont toujours des clubbers qui s’agitent sur son rythme mais celui-ci est désormais hystérique, impulsif, un peu vulgaire, pour être honnête.

Certains titres des Virgin Prunes ont tenu tête à l’oubli systématique des groupes des années 1980. Walls of Jericho [1982], immense manifeste identitaire pèse lourd dans la balance du patrimoine gothique et en déborde puisqu’il inspire le nom d’un groupe hardcore de Detroit, en activité depuis 1998. Love lasts forever [1986], tirade d’amour de 8’25 inaugurée par un hululement glacial marque la carrière des gars de Dublin et reste un repère fort dans leur discographie. Enfin Pagan Lovesong [1982] constitue la porte d’entrée de l’œuvre de Virgin Prunes, le bout de ficelle sur lequel le néophyte tire pour dérouler la pelote de laine, noire, si possible, la laine...

Quant aux membres des Virgin Prunes, que sont-ils devenus ? Le groupe s’est séparé en 1986, puis d’anciens membres se sont reformés sous le nom de The Prunes (exécré en bonne et due forme par Gavin Friday), puis certains sont peut-être morts quand d’autres se reconvertissent dans l’art contemporain (Gavin lui-même)... Pendant ce temps, l’Autre Groupe Irlandais remplit des stades. Et ça fait 30 ans que ça dure.



[1] Propos recueillis par Frédéric Thébault et Christophe Labussière pour Premonition #22.
[2] Il s’agit évidemment de U2. Bien avant la création des deux groupes, leurs leaders respectifs étaient membres du groupe de réflexion « mystique » appelé The Lypton Village. Les noms civils des membres du Village étaient reformulés à leur intégration. Et voilà comment Paul David Hewson devint Bono Vox et David Howell Evans, The Edge, dont le grand frère occupe la place de guitariste au sein de Virgin Prunes.
[3] Des braises fumantes et anticipées du punk, émerge un combo transgenre, lecteur de J. K. Huysmans, de J. Genet et d’Isidore Ducasse, répondant au nom de The Beautiful People. S’estimant probablement pas si beaux que ça, ces joyeux lurons se rebaptisent Virgin Prunes en 1979. Ne voyez aucune différence entre ces deux dénominations : selon les membres, un ou une « virgin prune » est une personne observée comme marginale, en faille avec les normes et pourtant, révélant de fait une certaine forme de beauté (« A new form of Beauty » sera le titre d’un projet mi-arty mi-musical du groupe). Être un ou une « virgin prune », c’est être par conséquent une belle personne (« a beautiful people »).
[4] Gavin Friday, en 1996 : « On a tout fait pour ça, c’est du disco qui n’est pas dansable, et sur Baby Turns Blue, Mary fait de la percussion disco parodique (rires) très funky... Grandmaster flash ». Cf. Premonition #22.


Pour écouter la chanson, cliquez .
Article paru sur Inside Rock le 2 juin 2009.
Rubrique : Paroles/Textes. Chanson : "Baby Turns Blue", sur "If I die, I Die", Rough Trade, 1982.

lundi 22 juin 2009

Elvis Presley est toujours vivant ! Grâce à Peter Guralnick...



Last Train To Memphis/Careless Love
, par Peter Guralnick.
Parus chez Le Castor Astral respectivement le 22 novembre 2007 et le 4 décembre 2008.

Depuis le magma lointain des centaines de milliers de lignes des 1 452 pages qui composent l’œuvre de Peter Guralnick sur Elvis Presley, (et que j'ai lues, je précise) une question émerge : qui, de Peter ou d’Elvis, est la véritable star de cette somme ? Deux niveaux de lecture sont alors proposés. Le premier, évident, porte au nues un homme seul, célébrissime, malade, génial. L’autre, en palimpseste, suggère le travail minutieux d’un homme fidèle, admiratif, respectueux, acharné.

Peter Guralnick consacre deux tomes à la vie d’Elvis Presley : Last Train To Memphis - Le Temps De l’Innocence, dédié à la période 1935-1958, soit jusqu’au départ pour l’Allemagne et Careless Love - Au Royaume De Graceland qui couvre le reste de sa vie, jusqu’en août 1977. Les volumes sont sortis aux Etats-Unis respectivement en 1994 et 1999 et les paresseux francophones attendront plus de dix ans pour se délecter de la plume de ce critique de musique, dont les compétences dépassent tant cette étiquette. Car P. Guralnick est ce type de journaliste capable de passer ses nuits sur une note de bas de page, de préparer pendant des semaines un entretien de quelques heures avec un protagoniste du mythe et de saigner sur sa retranscription. Une sorte de chercheur, en quelques sortes, mais un chercheur de la musique. Sa dévotion et son honnêteté vis-à-vis des faits donnent un résultat qui fait prendre Elvis Presley par la main, aussi tendrement que l’on étreint un vieil ami de la famille.

Du King, les choses sont sues. Son amour infini pour sa mère, sa foi en des valeurs conservatrices, au moins au début de sa vie et de sa carrière, l’explosion de la célébrité qui succède à l’entrée au studio Sun Records, durant l’été 1953, sous l’œil attendri de Marion Keisker, assistante de Sam Phillips, l’apparition du Colonel Tom Parker, vieux forain expert en tours de passe-passe passe passe marketing redoutables, l’Allemagne, Priscilla Ann Beaulieu, les pilules, les mauvais films, les rôles pour lesquels il ne lui a jamais été demandé de composer, les tournées à forte rentabilité, Las Vegas. Puis la mort. Stupide mort, le 16 août 1977, à Graceland : le vomi, les serviettes en éponge dégoulinant, la masse de graisse qui déborde du pyjama, Lisa-Mary, 9 ans, qui assiste à la scène. "Quelque chose ne va pas avec mon papa, et moi, je veux savoir ce que c’est !" (tome 2, p. 756). Ginger, dernière compagne du King, ferma les portes. Le mythe posthume se mit alors en marche.


Les paillettes qui habillent le mythe Elvis Presley reflètent si fort sur l’inconscient collectif que son souvenir est fait d’images brillantes et choquantes. Ces images, comme toute histoire ré-appropriée par la naissante pop culture des années 1950-1960, laissent peu de d’espace à son héros. Il appartient à l’histoire, à un pays, les Etats-Unis, et il n’est pas question de se faire dérober un emblème si fort du rêve américain. Pourtant, sur les capes brodées d’or que décrit Peter Guralnick se lit la montée irrésistible de la paranoïa et de l’immense tristesse de l’homme flamboyant que fut Elvis à son retour à la télévision en 1968, sur NBC.

Ce que nous tend P. Guralnick sur un plateau, c’est un Elvis Presley qui tourne en rond dans une pièce sans porte ni fenêtre, et se cogne contre des murs recouverts de crépis. L’homme est blessé, toute sa vie. Le travail pharaonique de l’auteur Guralnick ne livre pas de solution clé en mains sur la compréhension du phénomène de Tupelo mais tisse au contraire une immense toile, où l’importance de menus détails prétend apporter du sens aux démonstrations publiques. Guralnick, immense auteur de l’histoire de la musique, a rencontré tous les proches d’Elvis, et même les lointains, pour entrer dans la tête de l’homme qui parlait de lui-même, en ces termes, en 1953 : « Je chante tous les styles [...] Je ne ressemble à personne » (tome 1, pp. 79-80).

De l’expérience de Hal Kanter, réalisateur venu rendre visite à Elvis en 1957, Peter Guralnick relatera le témoignage le plus « fou » jamais recueilli sur la puissance d’Elvis : lors d’un concert, une jeune fille, amputée de la main, mordait son moignon pour s’empêcher de crier (tome 1, p. 399). Parce que ce témoignage est irréel et parce que Peter Guralnick le glisse entre deux paragraphes, l’air de rien, c’est-à-dire sans juger le caractère excessif, démesuré, insensé de l’acte, le lecteur peut tourner les pages sans crainte. Guralnick n’essaie pas de raconter une version des faits. Pour lui, l’important est que tous les hommes et toutes les femmes qui ont touché de près la gloire avec le King puissent trouver les mots pour en parler. P. Guralnick leur fait la part belle et c’est ainsi que ce génie de l’histoire de la musique signe la biographie la plus honnête de l’homme le plus seul. Qui, de Peter ou d’Elvis, est la star de cette œuvre ? Les deux, évidemment. Au même niveau.

Car d’Elvis Presley, tout sera dit au lecteur. Le mythe ne sera pas exposé sous une cloche en verre mais à la portée du visiteur. Toucher l’œuvre est même obligatoire.


Article paru dans Inside Rock le 23 juin 2009. 

jeudi 18 juin 2009

"California Girls", le single-pamphlet des Magnetic Fields (2008)


Sortie sur l’album Distortion le 15 janvier 2008 (Nonesuch Records)

Avec la deuxième piste de l’album Distortion paru en 2008, The Magnetic Fields s’assure la sympathie d’un certain nombre de publics particuliers. California Girls (non, il n’y a pas que les Beach Boys dans la vie) s’adresse aux personnes en difficulté pondérale, aux couples qui doivent faire un "choix" entre payer la voiture et refaire le nez de madame, aux ménagères aux cheveux gris qui pleurent les joues roses de leur 20 ans. Stephin Merritt, l’Auteur du texte interprété par Shirley Simms, collaboratrice du groupe de la côte Est, se fait ici le prophète des oubliés, le guide spirituel des gens complexés, en grattant, vraiment fort, le vernis des filles de Californie.

Tel un super héros, Stephin Merritt avec le support vocal de Shirley, rôde au-dessus de Los Angeles et se fait une joie de massacrer, le mot est faible, la beauté juvénile de ces petites pestes à la peau trop bronzée pour être naturelle.
See them on their big bright screen
Tan and blonde and seventeen
Eating nonfood keeps them mean
But they’re young forever
[...]
I hate California girls




Voici un message qui a le mérite d’être clair : il les déteste. Avec la voix haut perchée de Shirley, officiellement inspirée par les salissures voulues des bandes de Psychocandy (1985) de The Jesus and Mary Chain, notre Super Stephin vise et tire à boulets rouges sur tout ce qui remue un peu trop son booty sur la plage de Santa Monica. Il ne craint rien, et dénonce les usages douteux que font ces demoiselles de coupe-faims illégaux, ce qui peut avoir pour conséquence de tomber dans l’oreille d’un narcotrafiquant, qui placera un contrat sur sa tête de chanteur engagé, mais Stephin Merritt, ce n’est pas Bob Dylan, alors du calme. Leur différence : l’un a de l’humour, l’autre, moins.

They breathe coke and have affairs
with each passing rock star
[...]
I hate California girls
  
Super Stephin est lancé, la rage monte et les dents grincent (à condition de ne pas être passé chez l’orthodentiste). Il ne fait pas bon être une Paris H***** sur le chemin de cet auteur reconnu pour ses saillies drôles et ses rafales de mots ironiques (même Trent Reznor est fan [voir explications ne bas d'article] ). Lisons.

So
I have planned my grand attacks
I will stand behind their backs
with my brand-new battle ax
Then they will they taste my wrath
They will hear me say
as the pavement whirls
« I hate California girls... »
 
Merritt s’acharne sur ses victimes en faisant répéter ses trois dernières lignes presque dix fois à Shirley. On ne s’en lasse pas.

Ce bonhomme n’est pas un musicien comme les autres. Vrai bon groupe américain, The Magnetic Fields joue avec les codes et sert des albums loins de la nécessité du prêt à écouter. Avec Distortion, son huitième album, The Magnetic Fields poursuit son projet de livrer des oeuvres sans synthetiseurs (le premier album de cette trilogie étant i, sorti en 2004, dont le titre de chaque chanson commence par la lettre i) et la patine noise de Distorsion est bienvenue dans un paysage parfois un brin surproduit.

La particularité de Magnetic Fields sont ses textes, hilarants, drôles. D’ailleurs, lors d’un entretien au Village Voice en octobre 2008, Stephin Merritt s’explique davantage sur son penchant pour peindre des portraits ravageurs et ironiques que sur la généalogie du disque ou du groupe. Là aussi, l’homme déplace à peine le curseur pour laisser apprécier le second degré de son art. Mais sa maman ne comprend pas, dit-il.

Admirons !




Il suffit de lire les commentaires qu’il adjoint aux pistes en streaming qu’il compile sur le site blip.fm. Cliquer là)


[...]
Article paru le 14 juillet 2009 sur Inside Rock