Sorti en 1981 chez Crammed Discs.
Comme si sa volonté était de ne pas mettre sa musique entre les mains de tout le monde Tuxedomoon ouvre son Desire avec un morceau de 14min 55’. Grâce à ce stratagème, exit les punks, exit les mods, exit tous les rockeurs and rollers incapables d’être attentifs à un morceau de plus de 2 min 30’.
Débutant comme un mauvais concert de Pink Floyd, c’est seulement au bout de 5 minutes que l’équipée de San Francisco annonce la couleur de Desire : boîte à rythmes, violon, bouts de ficelles électroniques sur lesquels l’on danserait bien pieds nus dans une vieille maison polonaise. Puis la teinte tzigane de "East/Jinx/…/Music #1" se marie soudain à un saxophone [voir explications tout en bas de l'article] qui ne s’était pas annoncé. Idéalement conçue pour faire gazouiller des oiseaux en métal, la chanson prend ensuite une tournure très expérimentale au niveau de la 10ème minute pour repousser ceux qui avaient réussi à passer l’épreuve de la musique tzigane électronique. A ce niveau de la chanson, les amateurs peuvent enfin se dire : « Ca y est, on est entre nous ». Ainsi fut l’introduction au désir bleu et dansant de Tuxedomoon.
Desire est l’album phare de la discographie de Tuxedomoon, collectif californien d’artistes et de musiciens en tous genres, fondé en 1977, au moment même le punk termine sa puberté en Europe. Signé sur le label des Residents, première partie de DEVO lors de son passage à San Francisco, Tuxedomoon met cependant les voiles vers l’Europe dès le début des années 1980. Et ne la quittera (presque) plus.
Desire.
7 titres pour l’édition originale en 1981 et 11 pour sa réédition en 1987 sous
format CD, les 4 nouveaux titres provenant du EP No Tears, sorti pour sa
part en 1978. Deux aspects peuvent donc être approchés, selon que l’album Desire
se termine sur « Holiday For Plywood » (version originale de
1981) ou sur « No Tears » (réédition agrémentée de 1987).
S’il
s’agit de « Holiday For Plywood » : la boîte à rythmes
singe un jazz électronique, de vagues pizzicato mettent en scène un malaise sur
le point d’arriver. Les cordes font tourner la pièce pour rendre malade et …
« Sometimes
in the finest of moments
You
find the furniture just doesn’t fit
Something
about the carpet
Makes
you want to scream »
L’album
se termine sur une envie de vomir, dans une nausée qui accompagne en principe
un baptême de l’air.
S’il
s’agit de « No Tears » : un petit boulet efficace aux
contours mal définis, même pas carré, où tout déborde mais qui concentre toute
la puissance que peut concentrer le mélange de guitares, de boîte à rythmes, de
voix grasses, de basse cinglante, sur un texte écrit pour homme/femme au bord
de la crise de nerfs.
Ainsi,
avec l’un comme l’autre en conclusion, les âmes sensibles devront s’abstenir.
La finesse de l’entreprise, celle de créer un album aux influences multiples ET
a priori mal adaptées (jazz et électronique, guitares et violon), trouve sa
sève dans l’écriture de textes dont la violence excède celle de tous les
groupes en colère qui réclame la mort de Dieu. Sur « Victims Of A
Dance », Cassandre, la pauvre fille de la mythologie grecque que
personne ne croit, semble se balader dans une soirée, titubante (« With
an unquenchable thirst / We drink »), psalmodiant sa prophétie
contemporaine « We are all victims of a dance ». Cela
signifie-t-il qu’il faille se méfier des formes artistiques attirantes, qu’il
faille faire l’effort d’aller un peu plus loin que ce qui se donne comme
tel ? Oui. Voilà. Voilà le message de Desire, l’album. Et pour le
diffuser, le groupe passe par la mythologie grecque…
Continuons.
La pièce maîtresse de Desire, l’album, est « Desire »,
la chanson. La boîte à rythmes lance une boucle qui ne quittera jamais la
piste, un clavier vient renforcer la structure de base, puis une voix très
claire vient slapper sur le tout comme une corde sur une contrebasse.
Ritournelle expérimentale, « Desire » la chanson a un pouvoir
dansant très efficace si l’on repousse son contenu. Le désir s’adresse en
personne à ceux qui veulent bien l’entendre. Ce désir n’est pas celui des corps
ou des autres, mais un désir simplement matériel. En substance, ce désir
personnifié – et au moins aussi aimable qu’un Andrew Eldritch dans un Disney –
est celui qui se glisse l’air de rien dans le quotidien : « Tu
veux cette voiture ? Tu la voudrais pour briller devant tes amis et ta
famille… mais tu ne peux pas. Tu n’en as pas les moyens. Trop tard, tu la
désires déjà. Te voilà piégé. » Le voici le piège du désir lu par
Tuxedomoon, matériel, quotidien, d’une violence inouïe. « Et dire que
tu allais danser sur cette chanson… »
Tuxedomoon
est un groupe composé de personnes intelligentes dont le rapport au monde est
théorique et souligne, toujours avec une délicatesse lexicale, la violence en
ce bas monde. La musique de Tuxedomoon se comprend avec toutes les dimensions
de son profil : complexité, violence, mélange acoustique, électronique, chant
au yaourt bulgare si vous le voulez, mais toutes ces dimensions sont
essentielles pour ne rien louper de tout l’art de ces bonhommes. On peut passer
outre la portée des textes par exemple, Tuxedomoon restera un groupe
intéressant mais ennuyeux. On peut oublier que la figure du Hollow Man est
répétitive dans l’album et qu’elle singularise celle de l’homme moderne, mais
la musique de Tuxedomoon sera amputée du personnage principal de ses fictions
musicales, bref, l’essentiel en somme.
C’est
pour cela que cet album est un incontournable. Parce que c’est un piège. Parce
que les autres albums et les autres productions des années 1980 ont souvent
livré des albums bien compacts, bien sombres, qui se revendiquaient du punk, et
déclaraient sans pudeur puiser leur inspiration dans le côté dark du mouvement
punk. Desire a un niveau de lecture plus fin, plus cérébral, lâchons ce
vilain mot. Les personnages des titres sont tous des hommes et des femmes qui
se cognent bêtement contre des choses qui font mal, murs de la vie : le
désintérêt, l’incrédulité, le rienàfoutrisme des autres à leur égard. Desire
est un piège. Et non, l’auteur de ces lignes ne fait pas sa maligne. Parce
qu’elle-même y est aussi tombée à pieds joints, dans le piège du Desire,
avant de relever le nez des boucles de la boite à rythmes et de se dire « Attends,
attends, c’est quoi leur problème ?... ».
Leur
problème ? Ou notre problème ? Leur problème ? Le nôtre ?
Le leur ? Je sais pas, écoutez, c’est des gens compliqués Tuxedomoon…
Focus sur le saxophone dans les années
1980 : durant la décennie, à l’exception de Michel Delpech qui en fait
usage pour emballer les filles, le saxophone est un instrument qui symbolise
une inquiétante présence. Cela mériterait un article mais en attendant, pour se
faire une idée, voir ici le court métrage Sax,
présent dans le coffret DVD+CD Berlin Super 80 sorti en 2005 chez
MonitorPop. Dans ce court métrage, le saxophone est un personnage à part
entière, qui se dissimule dans la brume urbaine... et qui fait quand même un
peu frémir.
Article paru le 15 septembre 2009 sur Inside Rock
1 commentaire:
• Cours passage ...
Un lien par ici : http://ficusanctusformicaest.blogspot.com/
Même personne ?
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